Alors qu’un drôle de phénomène visuel invisible pousse la quasi-totalité de l’humanité au suicide, quelques survivants parviennent à se réfugier dans une maison et à subsister tant bien que mal jusqu’à ce qu’il ne reste plus, en fin de compte, que Sandra Bullock et deux enfants nés le même jour, contraints de descendre des rapides avec un bandeau sur les yeux dans l’espoir de rejoindre un incertain havre de paix. Et ça, les amis, ça mériterait en soi d’être une discipline olympique.
Après les torture porn à la con et les films d’épouvante atmosphérique façon James Wan (que j’aime beaucoup), une nouvelle tendance semble se dessiner dans le petit monde du cinéma fantastique en ce moment : les menaces invisibles. Que ce soit avec Sans un bruit, It Follows, sans oublier The End en 2012, un film espagnol qui ne manque pas de similitudes avec Bird Box, dans son traitement visuel des paysages immenses. Enfin, si ma mémoire est bonne.
Alors évidemment, l’avantage des menaces invisibles, c’est que l’on n’a pas besoin d’expliquer les choses. Pas de maison construite par dessus un cimetière malgache ou de poupée possédée par l’esprit de Gengis Khan : juste une bonne grosse menace qui vous tombe dessus et démerde toi avec. Moi ça me va, à vrai dire. Sauf quand c’est juste de la flemmardise du scénariste, ou du foutage de gueule façon Lost, mais Bird Box est suffisamment riche pour ne pas donner cette impression.
Il est même tellement riche qu’il laisse par contre un petit peu perplexe. Donc, des espèces de créatures invisibles donnent envie de se suicider aux personnes qui tournent la tête dans leur direction, en leur montrant « leurs pires craintes », comme le rapporte un personnage. Sauf que bon, en quoi les pires craintes de quelqu’un doivent-elles nécessairement lui donner envie de se suicider dans la seconde qui suit ?
D’autant que les pires craintes en question semblent bel et bien personnalisées. C’est ce que laisse supposer un personnage qui prononce le mot « maman » en regardant l’insoutenable, juste avant de se tuer. Dans ce cas, pourquoi est-ce que les malades mentaux, eux, proclament voir quelque chose de magnifique et s’en réjouissent au point de vouloir contraindre les sains d’esprit à regarder eux aussi ? Tout d’un coup, ceux-là semblent bien voir la même chose…
Ce ne sont pas du tout des incohérences majeures, mais cela instille forcément le doute dans l’esprit du spectateur, et un petit recul qui fait que l’on ne rentre pas totalement dans l’argument présenté par le film. Plutôt que d’opter pour une apocalypse zombie, une grippe aviaire ou une folie meurtrière collective, on choisit une épidémie de suicides. C’est bien trouvé, mais cela s’accompagne d’une explication qui se prend un peu les pieds dans son propre mysticisme. Ça vaut le coup d’être salué : c’est rare de voir des scénaristes se compliquer la tâche au lieu d’aller au plus simple, même si en l’occurrence ils auraient vraiment pu se le permettre.
Sinon ? Bird Box est plein de qualités. Je ne suis pas spécialement fana de sa construction narrative en mode flash-back, qui n’apporte pas grand-chose au récit, mais elle ne le gêne en rien non plus. Le cliché du « groupe de survivants coincés dans une maison qui sont contraints de vivre ensemble » est relativement bien amené, les relations et interactions entre les personnages sont crédibles, quand bien même elles vont un peu vite en besogne. Tout cela, ce sont des choses que l’on se dit après le film : pendant le visionnage, tout passe comme une lettre à la poste.
J’ai l’impression en fait de beaucoup critiquer un film qui ne le mérite pas. On est en face d’une réalisation bien rythmée, et d’un film qui dure tout de même deux heures et évite bien des longueurs pour maintenir l’intérêt du début jusqu’à la fin, y compris dans l’exploration du mystérieux phénomène menaçant. L’ambiance est très réussie, certains moments d’angoisse sont retranscrits avec brio, et le tout est servi par des acteurs talentueux.
Bref, malgré toutes les réserves de principe que j’apporte ici parce que je suis un enculé, je ne peux que recommander Bird Box. C’est vraiment un film qui comporte beaucoup plus de qualités que de défauts, et qui ne trahit pas son potentiel.
Sur ce je vous laisse. Et bonne année !