Convaincus qu’une île perdue au milieu de nulle part est le territoire de monstres ahurissants et autres merveilles du même acabit, une équipe de scientifiques profite de la fin de la guerre du Vietnam pour obtenir l’escorte d’une escouade militaire dans son expédition. Accueilli à bras ouverts par un gorille géant qui bousille ses petits nélicoptères et ses hommes dedans, le colonel de la dite escouade se jure d’avoir la peau de son nouvel ennemi, et démontre que le plus Kong des deux n’est pas celui qu’on croit.
Comment parler d’un King-Kong sans le comparer à ses prédécesseurs ? Voici la question qui me hante au moment d’écrire ce billet, mais elle ne me hantera pas tant que ça dans la mesure où les prédécesseurs, je ne les connais que fort peu. Le King-Kong de Cooper ? Je l’ai quelque part mais ne l’ai encore jamais vu. Celui des années 70 ? Si je l’ai vu, je n’en garde strictement aucun souvenir. Dans le fond, le seul King-Kong que j’ai en mémoire est celui de Peter Jackson. Oui je sais, j’ai le chic pour me rappeler des trucs pas franchement mémorables.
J’en oublie un tout de même : King Kong contre Godzilla, réalisé en 1962. J’hésitais à le citer, mais figurez-vous que j’ai commencé à rédiger cette petite chronique pendant que défilait le générique de fin du film, et qu’une scène post-crédits est apparue devant mes yeux ébahis, laissant clairement entrevoir une suite et un bon gros lézard géant dans la foulée… Du coup, ça me semble parfaitement approprié de le citer. En plus c’était un moment sympa. Pas comme le film de Peter Jackson. Je sais que ce n’est pas charitable d’insister de la sorte, mais nom de Dieu quel navet ce truc. Enfin bref.
Donc on va tenter de parler de ce Kong sans penser aux autres. Après tout pourquoi pas ? Tout se passe sur l’île où réside le majestueux primate, il n’y pas d’histoire de Kong ramené en bateau à New-York pour faire grimpette sur les gratte-ciels et tout le tralala, et c’est déjà très bien. Ainsi, le film prend vraiment le temps de nous exposer l’écosystème de la Skull Island, qui constitue en soi tout un poème symphonique. Mieux encore, il ne nous colle pas sous les yeux une resucée de Jurassic Park et propose un bestiaire (relativement) original.
C’est évidemment cette île, ses animaux géants ou moins géants, ses menaces sourdes, ses habitants humains muets et emplis de sagesse, ses flamants roses et son roi Kong, qui constitue le personnage principal du film. Avec en toile de fond deux narrations qui s’entremêlent, représentées par deux groupes de survivants distincts : celui qui tente de se barrer de cette île dans le meilleur état possible, et celui mené par un colonel décidé à faire la peau du grand gorille parce que bon, c’est bien connu, c’est dans la nature de l’Homme de descendre du singe. Calembour.
De fait, Samuel L. Jackson est juste merveilleux dans le rôle d’une sorte de colonel Achab obsédé par l’idée de bouffer du Kong, dans lequel il sublime toute sa rancœur de vieux militaire aigri, contraint d’abandonner une guerre sans en avoir une autre derrière. Placer l’histoire de Kong dans le contexte géopolitique de 1973 est plutôt une bonne idée, surtout quand l’arrivée dans l’histoire d’un ancien de 1943 joue les machines à remonter le temps.
Je ne sais pas si ça sent, mais j’ai vraiment aimé ce film. On ne va pas se mentir, c’est du gros spectacle bien stylisé comme il faut, avec de vrais moments de bravoure et d’autres nettement moins réussis. Parfois le film glisse un peu trop du côté du grotesque, mais jamais au point de ne pas remonter la pente. Et certaines scènes sont tellement réussies, à commencer par le combat final entre Kong et un gros truc rampant dégueulasse, qu’elles en sont presque émouvantes.
Mais le film tente aussi des choses au niveau scénaristique, et s’autorise surtout quelques plans allégoriques qui ne sont pas franchement subtils, mais dont j’ai envie de saluer la présence dans ce type de production. Parce que bon, ce n’est pas Peter Jackson qui allait essayer de s’interroger sur la valeur de l’image ou la poursuite d’une vie perdue à force de se chercher elle-même. Oui j’insiste, je sais. C’est juste que ce n’était pas la peine d’arrêter de faire des Braindead si c’était pour nous pondre des cacas façon King-Kong 2005, ou des épopées nono-zélandaises baveuses et surfaites.
J’avais envie d’aimer Kong : Skull Island et je suis ravi. J’ai vu un film qui me donnait exactement ce que j’espérais voir. Un univers différent et pensé, qui se maintient dans des principes sans tomber dans des clichés, généralement bien fait, bien rythmé, et sans trop de longueurs ou de blablas inutiles. Certaines situations et certains personnages auraient mérité d’être un peu moins stéréotypés, de même que sa musique qui ressemble à peu près à tout ce qu’on entend tout le temps, mais inutile de jouer les pisse-froids : en essayant de nous divertir sans nous prendre pour des cons, quitte à pencher parfois bien plus du côté d’un Herzog que d’un Michael Bay, Jordan Vogt-Roberts signe un film intègre et remarquable.
Sur ce, je vous laisse.