Des diplodocus, des tricératops, des tyrannosaures, des ptérodactyles, des raptors, d’autres dont je n’avais jamais entendu parler avant, et un tout nouveau dinosaure génétiquement modifié en prime. Le tout dans un parc d’attraction comptant vingt mille visiteurs par jour, et la loi de Murphy stipulant que le pire est toujours ce qui finit par arriver. Évidemment, personne ne veut y croire. À Fukushima non plus, on n’y croyait pas.
C’est d’ailleurs l’un des « messages » porté par le film : manipuler la nature et jouer les apprentis-sorciers, c’est dangereux et c’est mal. Vous allez me dire que c’est exactement le message que portait Jurassic Park voilà vingt ans ? Vous avez totalement raison. Dans ce domaine comme dans tous les autres, Jurassic World prend le parti de n’innover que sur la marge.
D’ailleurs, est-ce que l’on attendait réellement de lui qu’il innove ? Les producteurs étaient bien convaincus du contraire, qui ont signé un gros chèque pour un fan-film absolu, qui ne cesse de citer son ancêtre d’il y a vingt ans. En prenant soin au passage de passer sous silence ses deux suites, ce qui peut aisément se comprendre.
Je suis un amoureux fou de Jurassic Park, que j’ai revu récemment pour la énième fois et que je considère parmi les plus grands chefs-d’oeuvre de Spielberg. J’ai fait, comme tout le monde, la même tête que Sam Neill en découvrant le premier dinosaure du film, créé par des effets spéciaux tellement bluffants qu’ils n’ont franchement pas pris une ride. C’était un rêve de gosse qui se réalisait devant mes yeux ébahis. Voir des dinosaures. Des vrais, pas des machins en pâte à modeler ridicules. C’était extraordinaire. Et c’est devenu la norme.
Jurassic World joue très intelligemment sur ce sentiment, en décrivant un parc d’attractions contraint de renouveler constamment ses spectacles et ses créatures tant le seul fait d’exposer des dinosaures n’étonne plus personne. Une course en avant qui l’amène à prendre de plus en plus de risques, jusqu’à fabriquer un dinosaure maison rusé et vicieux qui va s’ingénier, naturellement, à tout massacrer sur son passage.
Les raptors sont évidemment de la partie, et le T-Rex à la fin vient jouer les sauveurs. C’est une tendance qui se confirme décidément dans le cinéma d’aujourd’hui : faire des grands méchants d’hier les grands gentils d’aujourd’hui. Qu’il s’agisse de Godzilla ou du tyrannosaure, les voici convertis en sympathiques philanthropes volant au secours de la veuve et de l’orphelin. D’accord, j’exagère un peu, mais il y a de ça.
C’est peut-être cela qui est agaçant d’ailleurs dans Jurassic World, cette volonté de coller à l’oeuvre originale et de servir un film fait pour les fans, mais peut-être pas PAR des fans. Parce qu’on a surtout droit à des passages obligés, des reprises de plans, des équivalences de situation, des symétries narratives, sans que cela soit spécialement inspiré. L’hommage a bon dos mais contrairement au parc qu’il décrit, Colin Trevorrow et ses producteurs ne prennent pas beaucoup de risques.
Ah si tout de même, dans le registre légèrement absurde, on notera l’étrange anthropomorphisation appliquée aux modèles sociaux des dinosaures. Amitié, respect, trahison, réconciliation, alliances… Tout un inventaire des comportements humains se retrouvent inclus dans le leur, à tel point qu’on se demande si le brave docteur Wu, chargé de trafiquer leur ADN, ne s’abandonne pas à quelques vices cachés lorsqu’il est seul avec ses éprouvettes…
Et puis on notera la présence dans le rôle principal, en tant que gros bras au coeur tendre de service, de Chris Pratt. Et là c’est un problème. Parce que pour moi, Chris Pratt, c’est le Andy de Parks and Recreation. Une excellente série que je vous recommande chaudement, et dans laquelle Pratt campe un personnage aussi attachant qu’idiot, un grand enfant de trente ans qui vit dans son monde. Autant dire que le voir en dompteur de raptors m’a semblé aussi crédible que Joey – pardon, Matt LeBlanc – dans Lost In Space…
J’ai encore une pensée ému pour le personnage nerd de service, le type avec son t-shirt Jurassic Park et ses figurines de dinosaures, que le scénario joue à humilier d’une manière tellement emplie de tendresse qu’on devrait certainement sourire à tant de méchanceté, comme si ce n’était pas à ce genre de public que Jurassic World s’adressait très précisément.
Évidemment, le héros sera toujours le type qui roule à moto au milieu des raptors en furie, pas le bigleux qui a eu le malheur de faire des études et gère une technologie de pointe. Dans la vraie vie, le premier se fait boulotter en moins de deux minutes et le second finit par changer le monde, mais pas au cinéma. La revanche des nerds, ce n’est pas encore pour demain à Hollywood. Et en matière de féminisme, ce n’est pas tout à fait cela non plus.
Bon j’ai quand même envie d’être indulgent : Jurassic World se regarde pour ce qu’il est, un blockbuster un peu opportuniste mais bien ficelé, qui passe son temps à nous rappeler que Jurassic Park est un grand film, au point de s’oublier et de s’effacer derrière son modèle, sans jamais chercher à l’égaler sinon à le surpasser. En somme, Jurassic World, c’est Jurassic Park en vingt ans moins bien.
Sur ce, je vous laisse.