Quaid n’est pas Quaid. Quaid est Hauser, à qui l’on a implanté une nouvelle mémoire pour le détourner de son activité de révolutionnaire souhaitant la libération de Mars, planète dominée par un magnat de l’oxygène qui impose sa loi au peuple des mutants vivant dans les bas-fonds. Mais après un passage chez Rekall, entreprise spécialisée dans l’implantation de faux souvenirs touristiques, les verrous de la manipulation dont Hauser/Quaid a été victime sautent et l’ancien agent secret se voit contraint de reprendre du service. Le mot d’ordre ? « Get your ass to Mars ! »
Je me demande pourquoi je prends la peine de vous résumer, grossièrement, l’argument de Total Recall. Le film est tellement culte que je ne peux décemment pas croire que vous ne l’ayez pas encore vu. Ce qui est intéressant, c’est que j’ai vu ce film plusieurs fois, et qu’il m’aura fallu ce visionnage pour y repérer des choses auxquelles je n’avais jamais prêté attention auparavant.
Le film se dit inspiré d’une nouvelle de Philip K. Dick. Et quand on y pense, c’est fou le nombre de films qui, à l’instar de celui-ci, disent être « inspirés » par K. Dick. C’est le cas de Matrix, d’Equilibrium ou de Minority Report. Par contre, des adaptations directes de romans de K. Dick, je n’en ai aucune qui me vient à l’esprit. Légende absolue de la science-fiction, fondateur d’un genre et incontestable génie, K. Dick inspire beaucoup mais s’adapte peu. Une manière polie de dire que son univers et ses théories sont pillées sans vergogne par le cinéma contemporain. Et par Soral, qui y rajoute une énorme dose d’antisémitisme pour jouer au gourou de gouttière.
Ceci ayant été dit, disons le reste. Sur bien des aspects, Total Recall est un PUR film de son époque. Le jeu des acteurs, les choix esthétiques et graphiques, les décors en carton-pâte – Ciel que c’est kitsch ! –, les punch-lines qui s’accumulent, les personnages stéréotypés… Rejeton parfait des années 80, produit estampillé Verhoeven par excellence, Total Recall est d’autant plus efficace qu’il accumule les clichés sans complexe, s’assumant totalement au point de devenir imperméable au ridicule.
Et pourtant, si l’on essaye d’aller au-delà des apparences, on se rend compte que le film est plus complexe qu’il n’y paraît, et ne peut se réduire à sa dimension « premier degré ». D’abord, les nombreux twists qui viennent parsemer le scénario, dont certains sont loin d’être prévisibles, lui donnent une vigueur qui n’a pas l’allure artificielle de nombre de ses contemporains. En un mot comme en cent, Total Recall est bien écrit, et sa réalisation rythmée sert à merveille une histoire aux rebondissements parfois palpitants.
Mais surtout, Total Recall pose la question de sa propre crédibilité. Ceci demande une petite explication. Au début du film, Quaid se rend donc chez Rekall, pour se faire implanter des faux souvenirs de voyage sur Mars. Il prend, de plus, l’option « agent secret », pour pimenter son séjour. À la suite de quoi, sa précédente personnalité refait surface et s’il est amnésique, Quaid comprend qu’il n’est pas celui qu’il pensait être. Le fait que son collègue de travail ou que son épouse veuillent le tuer le confirme dans cette théorie. Et de multiples aventures le mèneront sur Mars.
Et c’est dans une chambre d’hôtel de la Planète Rouge que Quaid recevra une bien étrange visite. Un homme se présentant comme un employé de Rekall vient lui expliquer que tout ce qu’il est en train de vivre est un rêve, qu’il n’est en réalité par sur Mars, mais dans les locaux de Rekall, en état de veille onirique qui peut s’avérer fatal. Il lui propose donc d’absorber une pilule censée lui permettre de revenir à la réalité. Un signe minuscule suggère à Quaid qu’il s’agit d’un piège et le décide à abattre l’homme en question, avant de devoir une nouvelle fois courir pour sauver sa peau.
Cependant, peu de temps avant de se faire descendre, l’employé de Rekall livre une description étrangement précise de ce qui attend Quaid. « Si vous ne prenez pas la pilule, dit-il en substance, vous allez vous enfoncer dans votre rêve, vous allez faire ceci, vous allez découvrir cela… » Or, chacune de ses affirmations se révèlent confirmées par le reste du scénario, quand bien même elles n’étaient pas prévisibles pour ce personnage. Une dimension proleptique et prophétique qui pose question : Quaid n’est-il pas, en effet, en train de rêver son aventure ?
Une interrogation que l’on retrouve jusque dans les toutes dernières lignes de dialogue du film, balayée avec une certaine ironie au profit d’une fin, une nouvelle fois, typique du cinéma d’action de cette époque. Mais le spectateur retors est en droit de se poser la question : qui nous dit que nous n’avons pas simplement assisté aux délires d’un bonhomme plongé dans une espèce de coma cauchemardesque ? Rien, en réalité. Bien des années plus tard, Joss Whedon utilisera exactement la même méthode pour l’un des épisodes les plus réussis et les plus déstabilisants de Buffy contre les vampires…
Moi qui ne suis pas un grand amoureux de Verhoeven, réalisateur doué d’un imaginaire d’adolescent dont les films sont bien moins subtils qu’on veut le croire, je suis obligé pour le coup de m’incliner devant ce récit aussi efficace que confondant, offrant plusieurs lectures sans se perdre ou tomber dans la lourde démonstration. Avec Robocop, nous sommes clairement en présence de l’une des plus belles oeuvres du futur réalisateur de Starship Troopers, navet entomologiste que tout le monde s’échine étrangement à applaudir.
En revanche, je ne m’étendrai pas sur la qualité du jeu d’Arnold Schwarzenegger, son masque facial qui lui sert d’expressivité ou la subtilité de son accent autrichien forcené qui donne l’impression qu’il mord ses répliques plus qu’il ne les joue. Mais c’est vraiment parce que j’ai adoré revoir le film et que cela m’incite à la clémence.
Sur ce, je vous laisse. Et oui, « proleptique », ça existe. C’est que j’ai fait des études, mine de rien.